CHAPITRE QUARANTE-QUATRE

Un profond silence régnait dans la salle de conférence, au fond du Palais du Montroyal, tandis que s’éteignait l’affichage holo, à la fin du rapport d’Augustus Khumalo et d’Estelle Matsuko. La simultanéité ne signifiait en général pas grand-chose sur des distances interstellaires, surtout compte tenu du temps que prenait un simple échange de messages, mais, cette fois, le concept prenait un sens bien précis. Étant donné les distances mises en jeu, tous les spectateurs savaient Michelle Henke et Aivars Terekhov en train de préparer leur translation alpha dans l’espace normal, juste au-delà de l’hyperlimite de Nouvelle-Toscane. L’Empire stellaire de Manticore pouvait donc fort bien être en train de tirer les premiers coups d’une guerre qu’aucune nation stellaire saine d’esprit n’aurait envie de livrer.

Nul ne parla durant plusieurs secondes puis, de manière prévisible, la reine Élisabeth III se racla la gorge.

« Tu sais, Hamish, dit-elle sur un ton presque léger, quand l’Amirauté et toi avez envoyé Mike dans le Talbot, je me suis dit qu’on lui trouvait un petit coin de la Galaxie relativement calme pour qu’elle se remette de ses émotions. »

Hamish Alexander-Harrington, comte de Havre-Blanc et Premier Lord de l’Amirauté émit un ricanement assez amer.

« Personne n’a jamais dit que ce serait un petit coin bien tranquille. En revanche, vu la manière dont tout le monde semblait rentrer les cornes après Monica, je ne pensais pas non plus que ça deviendrait aussi… intéressant.

— Ah, non ? » Le jeune frère de Havre-Blanc, William Alexander, baron de Grandville et Premier ministre du Royaume stellaire de Manticore, n’était pas d’humeur à ricaner, avec ou sans amertume. Il secouait la tête, l’air dépité. « Intéressant n’est pas le mot que j’aurais choisi, Ham. Ça n’en approche même pas, compte tenu du résultat probable de cette petite bombe nucléaire de poche.

— Non, en effet, Willie », dit Honor Alexander-Harrington, tout aussi maussade que son beau-frère. Elle caressa les oreilles du chat sylvestre crème et gris étendu sur le dossier de son fauteuil. « Ça me met très mal à l’aise.

— En dehors du fait que nous venons de perdre trois contre-torpilleurs et leur équipage complet, tu veux dire ? demanda Élisabeth.

— Exactement. » La bouche d’Honor se crispa et elle fit de la main droite le geste de jeter quelque chose. « Ne le prends pas mal mais, après ce qui nous est arrivé – à nous et aux Havriens – pendant la bataille de Manticore, les pertes en vies humaines m’inquiètent moins que les implications futures. Je n’aime pas parler ainsi et, si je le fais, ce n’est pas en tant qu’Honor Alexander-Harrington, femme, mais qu’amiral Alexander-Harrington, commandant de la Première Force.

— Je comprends, dit la reine en lui posant la main sur le poignet. Et je suis d’accord à cent pour cent. C’est sans doute pour ça que je lance de mauvais mots d’esprit, pour éviter de regarder la situation en face. Mais je crains que nous ne soyons obligés d’en arriver là, n’est-ce pas ?

— C’est le moins qu’on puisse dire », acquiesça Grandville.

Il observa durant une ou deux secondes le dos de ses mains croisées sur la table, devant lui, puis leva les yeux vers les trois autres personnes présentes. Sir Thomas Caparelli, Premier Lord de la Spatiale, était assis à la droite de Havre-Blanc, Honor à sa gauche, entre lui et la reine, tandis que le Deuxième Lord de la Spatiale, Patricia Givens, se trouvait à la gauche de Grandville et à la droite de Caparelli. Sir Anthony Langtry, le ministre des Affaires étrangères du Royaume stellaire, complétait la réunion, installé entre Grandville et Élisabeth.

« Du nouveau quant à cette affaire de Torche, Pat ? demanda le Premier ministre à Givens, qui commandait entre autres la Direction générale de la surveillance navale.

— Non, pas vraiment. Tout ce qu’on sait pour l’instant avec certitude, c’est que ce qui est sûrement l’essentiel de la « flotte réfugiée » de SerSec ayant repris du service chez Manpower a été chargé de l’attaque. Le contre-amiral Roszâk l’a intercepté, et il semble que Barregos et lui aient eu encore plus de transfert technique d’Erewhon que nous ne le pensions. Ou, au moins, attaqué plus vite la production du nouveau matériel. Je suis sûre que ça a valu une vilaine surprise à l’autre camp, mais il s’est tout de même fait rudement amocher. À dire vrai, une bonne partie de mes analystes – et moi-même, d’ailleurs – ont été surpris qu’il se heurte à eux de cette manière. C’est la meilleure preuve que nous ayons pour le moment que le gouverneur Barregos et lui prennent leurs obligations du traité au sérieux.

— Mais il ne fait pas beaucoup de doute que Manpower se trouvait derrière tout ça ?

— Absolument aucun, dit Givens. Nous savons, depuis que Terekhov s’est emparé de l’Anhur en Nuncio, que Manpower a recueilli le plus de réfugiés possible de SerSec. Nous ne nous attendions pas à ce qu’ils montent une opération pareille, mais tout ce que nous savions déjà plus l’interrogatoire des survivants montrent que Manpower était le cerveau de l’attentat.

— Je te vois venir, Willie, intervint Honor. Tu te demandes si la synchronisation est ou non une coïncidence, n’est-ce pas ?

— Tout à fait. » Grandville renifla et secoua la tête. « Attention, il est possible que je cède à la paranoïa galopante mais, après ce qui s’est produit dans le Quadrant et en Monica, que des intermédiaires de Manpower s’agitent dans notre arrière-cour pendant que l’enfer se déchaîne en Nouvelle-Toscane me paraît une coïncidence particulièrement sinistre.

— Est-ce que tu suggères sérieusement que Manpower a décidé de nous faire livrer une guerre contre la Ligue solarienne, Willie ? C’est cela qu’ils cherchaient en Monica ? demanda Langtry, et Grandville haussa les épaules.

— Je l’ignore, Tony. Manpower pourrait se trouver mêlé à tout ça par hasard. Ils n’ont peut-être pas de plan concerté depuis le début. Pour ce que j’en sais, ils improvisent au fur et à mesure et tout ce qui se produit pourrait n’être qu’un heureux hasard – de leur point de vue. Mais qu’ils soient ou non derrière les événements de Nouvelle-Toscane – et la similarité avec ceux de Monica semble frappante, non ? –, c’est nous qui en subissons les conséquences. Je ne crois pas que quiconque à cette table critique Mike, la baronne de Méduse ou l’amiral Khumalo pour leur réaction à la destruction des vaisseaux du Commodore Chatterjee. Moi, en tout cas, je ne le fais pas et je sais que Sa Majesté non plus. Compte tenu des circonstances, ils ont raison : quand cet imbécile de Byng a ouvert le feu, il s’est agi d’un acte de guerre. »

Il s’interrompit, laissant cette phrase faire son chemin, puis il haussa les épaules.

« Je sais qu’aucun de nous n’a envie de réfléchir à ce que tout cela implique, mais Mike, Méduse et Khumalo ne pouvaient agir autrement. Et, franchement, je suis d’avis qu’ils ont fait le bon choix. »

Il jeta un coup d’œil à la reine, qui hocha la tête pour marquer son approbation. Elle n’avait pas l’air satisfaite, mais son acquiescement était très ferme.

« Tout ce qu’ils ont proposé est en accord strict avec notre politique et nos positions clairement énoncées. En outre, c’est en accord tout aussi strict avec la loi interstellaire. Je suis persuadé que personne, au sein de la Ligue solarienne, n’a jamais pensé qu’une flotte « néobarbare » aurait un jour la témérité d’envisager de lui appliquer ces lois-là, mais ça ne change en rien le fait que les responsables ont fait le bon choix. Il est possible que même les Solariens le reconnaissent et, bien entendu, nous espérons tous que leurs unités présentes en Nouvelle-Toscane, à supposer qu’elles y soient encore quand nos vaisseaux y arriveront, se plieront aux exigences de Mike sans pertes humaines supplémentaires. Malheureusement, nous ne pouvons pas compter là-dessus.

— Même si c’est le cas, il y aura un grand nombre de Solariens pour n’avoir strictement rien à cirer de ce qui est arrivé à nos contre-torpilleurs, fit remarquer Langtry. Et, pour ceux-là, qu’on tire ou non d’autres coups de feu sera sans importance : nous serons toujours la « flotte néobarbare » dont tu parlais, Willie, et l’arrogance avec laquelle nous leur présentons des exigences sera vue comme un acte de guerre de notre part, même si pas un seul de leurs vaisseaux n’a seulement sa peinture éraflée ! Ils sont la Ligue solarienne, après tout. Ils sont les rois ! Si l’omnipotence de leur flotte était remise en cause, ce serait la fin de la civilisation telle que nous la connaissons. En admettant, bien sûr, que l’impiété de quiconque ayant le front de suggérer qu’on leur impute un détail comme un assassinat massif doive causer la fin de l’univers, car Dieu aussi est de toute évidence solarien. »

Il était plus facile à certains moments qu’à d’autres de se rappeler que Sir Edward Langtry avait été officier dans l’infanterie de l’espace avant de devenir diplomate, se dit Grandville. La colère du ministre des Affaires étrangères était assez mauvaise en elle-même mais son ironie féroce aurait pu flétrir toute une forêt sphinxienne. Ce qui ne l’empêchait pas d’avoir fort bien résumé l’attitude qu’allait adopter la Ligue.

« Vous avez raison, bien sûr, concéda le Premier ministre. Et ça signifie que nous devons prendre grand soin de la manière dont nous allons envoyer notre protestation aux Solariens.

— À tout le moins, nous pouvons dépêcher notre message diplomatique les premiers, fit remarquer son frère. Il ne faut que vingt-cinq jours pour envoyer un courrier de la Nouvelle-Toscane à la Vieille Terre, en passant par Manticore et le nœud. Cela prend bien plus longtemps à quiconque veut contourner notre circuit de communication. Un messager de Nouvelle-Toscane met plus de cinq semaines T pour aller en Meyers, plus de six pour aller en Mesa. » Havre-Blanc grimaça, comme si le nom de ce dernier système avait eu mauvais goût. « De là, il faut encore treize jours T pour gagner la Vieille Terre par le nœud de Wisigoth et Beowulf. Si les Néo-Toscans perdent du temps à respecter le protocole et passent par Meyers, il leur faudra quatre-vingt-six jours – près de trois mois – pour transmettre leur premier rapport à Sol. Bien sûr, en supposant que nous ne nous trompions pas quant à l’implication de Manpower, ils enverront sans doute leurs dépêches directement par Mesa et Wisigoth, et elles atteindront leur but en seulement soixante-sept jours. Mais, même dans ce cas, notre message y parviendra en moins de la moitié.

— Je sais, acquiesça Grandville, et ça nous laisse un dilemme intéressant.

— À quel point nous voulons étaler ça en public ? devina Langtry, et le Premier ministre acquiesça.

— Exactement. À ce stade, personne d’autre ne sait ce qui se passe là-bas. Ni même qu’il s’y passe quoi que ce soit : je ne crois pas que, même nous, nous puissions dire ce qui s’y passe exactement. » Il eut un mince sourire. « Alors enverrons-nous un message discret au ministère des Affaires étrangères solarien ou bien communiquons-nous directement les données des capteurs du Tristan aux journaux ?

— Quelle riante alternative », soupira Élisabeth.

Grandville haussa les épaules.

« Je n’en suis guère satisfait non plus. Hélas ! c’est tout ce dont nous disposons. Alors, essayons-nous de régler cette question aussi discrètement que possible, dans le vague espoir que nous abstenir de placer les Solariens sous le feu des projecteurs les convaincra de travailler avec nous, ou bien devons-nous chercher un maximum de publicité ? Lancer notre offensive dans la presse solarienne, dans l’espoir de pousser la Ligue à se montrer raisonnable ? »

Durant quelques secondes, tout le monde se tut. Puis Honor prit une profonde inspiration.

« Compte tenu de l’écart entre les véritables décideurs de la Ligue et quoi que ce soit qui évoque, même de loin, le processus électoral, je doute qu’une offensive de propagande ait beaucoup d’effet à court terme. Toutefois, si nous rendons l’affaire publique, nous acculons ces mêmes décideurs dans un angle. En tout cas, c’est sûrement ainsi qu’ils verront la situation.

» Comme vient de le faire remarquer Hamish, il faudra bien plus longtemps à leurs dépêches qu’aux nôtres pour atteindre la Vieille Terre, à moins que Byng ne soit assez intelligent pour se rendre et n’envoie son propre messager par le nœud. J’estime donc irréaliste de croire que la Ligue prendra très vite une décision sur la manière dont elle va répliquer, même si elle en a envie. Et je crois qu’elle n’en aura pas envie. Sa seule arrogance y veillerait mais, comme Tony l’a déjà suggéré, les Solariens vont aussi réfléchir en termes de précédent. De ce qui se passera s’ils « nous laissent nous en tirer comme ça ». Si nous commençons à embraser l’opinion publique, cela ne les rendra que moins enclins à admettre que leur amiral a déconné.

— C’est tout à fait exact, dit Élisabeth. D’un autre côté, je pense que personne ici ne s’attend à ce qu’ils soient enclins à se reconnaître coupables.

— Non, dit Langtry. Mais cela ne signifie pas que nous ne devions pas paraître aussi raisonnables que possible, madame. »

Il grimaça, peu satisfait de devoir jouer un rôle d’influence modératrice. Par malheur, cette responsabilité-là faisait partie de son travail, aussi s’y attela-t-il.

« Que nous exigions la reddition au moins temporaire de leurs vaisseaux spatiaux et que notre commandant sur place ait l’autorisation de recourir à la force en cas de refus va les exaspérer, continua-t-il. On n’y peut rien. Cela dit, que nous soyons disposés à les exaspérer, à les affronter pied à pied – ce que personne d’autre n’a été assez courageux ou assez fou pour faire depuis des siècles – affirmera assez fermement le sérieux avec lequel nous prenons cette affaire. Nous pouvons probablement nous y prendre de manière à suggérer que nous ne désirons pas les humilier publiquement, mais sans paraître irrésolus pour autant.

— Tony et Honor ont tous les deux raisonné de manière fort juste, reprit Grandville au bout d’un moment. Mon conseil est de ne rien laisser filtrer pour le moment. En fait, quand nous rédigerons notre message au ministre des Affaires étrangères, Roelas y Valiente, je crois que nous devrons même signaler spécifiquement que nous n’avons pas raconté notre histoire aux médias. »

Élisabeth réfléchit un instant puis hocha la tête.

« C’est logique, dit-elle. Cela dit, je ne pense pas que nous puissions la garder très longtemps pour nous, pour plusieurs raisons.

— Lesquelles ? demanda Grandville, un peu inquiet.

— Pour moi, la plus importante est que nous avons la responsabilité d’informer nos citoyens, répondit la reine. Et je ne parle pas seulement de responsabilité au sens moral du terme, Willie, ajouta-t-elle ostensiblement. Tôt ou tard, nous devrons rendre cette affaire publique et, si nous tardons trop, les gens vont se demander pourquoi on ne leur en a pas parlé plus tôt, étant donné que cela met en jeu la misérable perspective d’une guerre potentielle avec la plus puissante flotte de la Galaxie, alors que nous affrontons déjà la République de Havre. J’estime primordial qu’ils comprennent pourquoi nous prenons ce genre de risque, et à quel point exactement les principes entrant en jeu sont importants. »

Grandville fit la moue. Bien qu’il eût été chancelier de l’Échiquier au sein du gouvernement du duc de Cromarty, il n’avait jamais tout à fait approuvé la politique de ce dernier en ce qui concernait la presse, durant la Première Guerre havrienne. Selon Cromarty, rien ne pouvait rester dissimulé éternellement, en dépit de tous les efforts des autorités. Puisque de malheureuses nouvelles allaient de toute façon se répandre, raisonnait-il, une politique d’ouverture et d’honnêteté était le meilleur moyen d’accroître la confiance du public dans les déclarations officielles. Grandville – qui n’était à l’époque que l’Honorable William Alexander – ne le contestait pas. Son problème venait de son intense antipathie (d’ailleurs, il était prêt à l’admettre sans honte particulière, le mot haine aurait été plus approprié) pour la presse de la Ligue solarienne. Tout ce qui serait publié en Manticore le serait sur la Vieille Terre moins d’une semaine plus tard, et les journalistes solariens ne se préoccupaient guère de rapporter les nouvelles fidèlement et objectivement.

À une époque, avant les premières attaques havriennes sur des sites tels que le poste de Hancock et l’étoile de Yeltsin, la presse solarienne couvrait la confrontation imminente entre le Royaume de Manticore et la République populaire avec un semblant d’objectivité. Certains Solariens adoptaient même une position pro-manticorienne, aussi le gouvernement du Royaume stellaire ainsi que ses organes de relations publiques en place en Beowulf ou dans le système de Sol avaient-ils délibérément joué l’aspect « brave petite Manticore » qu’entretenait une fraction de la presse.

Toutefois, le ressentiment des Solariens, du fait de la position dominante du Royaume en matière de commerce, avait toujours couvé dans le décor. Une fois que les missiles avaient commencé à voler, il était passé au premier plan. La « brave petite Manticore » avait été vue d’un autre œil quand la FRM avait commencé à remporter bataille après bataille. Qu’elle les gagnât alors qu’elle était largement inférieure en nombre conduisait beaucoup de Solariens à l’estimer militairement supérieure et, de là à la transformer en agresseur, il n’y avait qu’un pas. (« Je n’ai jamais aimé ces brutes de Manties, de toute façon. Trop gourmands et trop sûrs d’eux pour une bande de néobarbares, si vous voulez mon avis ! Si j’étais Havre, je ne les aimerais pas beaucoup non plus. ») Que le gouvernement Cromarty eût poussé la Ligue à mettre l’embargo sur les transferts de techniciens en République populaire n’avait fait qu’attiser ce ressentiment traditionnel.

Compte tenu des circonstances, il n’avait pas fallu longtemps aux médias solariens pour adopter ce que Grandville, au moins, considérait comme une attitude pro-havrienne révoltante. Même les Manticoriens les moins anti-solariens avaient dû reconnaître l’existence d’un net préjugé contre le Royaume stellaire, et une bonne partie d’entre eux auraient été d’accord avec l’actuel Premier ministre pour déceler un lobby anti-Manticore organisé au sein de la presse solarienne. Pourtant, Cromarty s’était entêté dans sa politique d’ouverture, n’acceptant de la modifier qu’au cas par cas, et seulement pour des raisons opérationnelles cruciales.

Cela ne signifiait pas qu’il fût aveugle aux réalités des médias au sein de la Ligue. Au contraire, il était tout aussi agacé que Grandville par leurs articles orientés. Mais sa politique reflétait son inquiétude à l’égard de la presse de l’Alliance : il savait que, quoi qu’il fasse, le Royaume stellaire se ferait matraquer dans les reportages solariens ; tant qu’il était resté Premier ministre, les relations publiques de Manticore s’étaient donc surtout assurées qu’une vue contraire fût aussi présentée, que les informations exactes des deux camps fussent accessibles. Manticore n’avait pas vraiment tenté de minimiser la brutalité de SerSec dans les informations dont elle abreuvait la Ligue par ses propres circuits. Pas plus que journalistes et commentateurs manticoriens n’avaient hésité à signaler qu’au contraire du Royaume stellaire la République populaire censurait la presse… et que les envoyés spéciaux solariens en Havre n’en faisaient pas mention car cela leur vaudrait d’être expulsés.

Ce parti pris n’avait fait qu’aggraver la haine de Manticore chez les maîtres autoproclamés des médias de la Ligue. Ils s’offusquaient des efforts du Royaume stellaire et de ses alliés pour corriger leurs affabulations les plus outrées, s’exaspéraient de s’entendre rappeler constamment qu’ils répétaient sans les critiquer les mensonges du Comité de salut public plutôt que d’en condamner la censure… surtout du fait que c’était justifié. Que la propagande havrienne flattât bien plus que la vérité leur antipathie pour Manticore, ajouté à leur fureur vindicative de voir mettre en doute leur version de la réalité, avait bien sûr eu des conséquences inévitables. Étant donné que leur peinture des événements corroborait leurs préjugés stéréotypés, les efforts du Royaume stellaire s’avéraient très ardus, d’autant que la bureaucratie et la communauté économique de la Ligue avaient un grand intérêt à noircir son image.

Et puis était arrivé le gouvernement Haute-Crête, lequel n’aurait pu mieux renforcer l’opinion du Royaume stellaire chez les Solariens s’il avait été créé dans ce but précis. La chute de la République populaire ; la résurrection de l’ancienne Constitution et de la démocratie havriennes ; le refus de Haute-Crête de négocier (ou de réduire les augmentations dues à l’« effort de guerre » des tarifs de transit pour les transports solariens) ; et le fait que ni lui ni son ministre des Affaires étrangères, Élaine Descroix, n’avaient vu l’intérêt d’épargner l’opinion publique solarienne avait produit des résultats catastrophiques sur la couverture médiatique du Royaume stellaire au sein de la Ligue. Raison pour laquelle une des priorités de Grandville, devenu Premier ministre, avait été de débloquer des crédits pour rebâtir l’organisation des relations publiques que Haute-Crête et Descroix avaient laissée s’atrophier.

Par malchance, la reprise des combats entre la République et le Royaume avait rendu cette tâche bien plus difficile. Et, Grandville devait l’admettre, que le Royaume stellaire se soit partagé la Confédération silésienne avec l’Empire andermien avait donné à ses critiques solariens bien trop de grain à moudre dans son moulin « Manticore, l’empire du Mal ». Ce que gardait sans nul doute en tête quiconque avait entrepris de déstabiliser l’annexion du Quadrant de Talbot.

« Je comprends, reprit-il avec prudence à l’adresse de la reine, et je ne dis pas le contraire. Mais l’argument d’Honor qui voudrait éviter de donner l’impression aux autorités de la Ligue que nous les acculons le dos au mur n’est pas dépourvu de mérite. Et tu sais à quel point on se fait assommer dans la presse solarienne depuis l’opération Coup de tonnerre. » Il s’interrompit, renifla. « Pardon, je veux dire depuis que cet imbécile de Haute-Crête a formé un gouvernement.

— J’en suis consciente, Willie. » Le ton d’Élisabeth était, à sa manière, aussi prudent que celui de Grandville. Au contraire de son actuel Premier ministre, elle avait toujours approuvé la politique médiatique du duc de Cromarty. « Et je ne conteste pas ce que dit Honor, ni le point que, nous le savons tous les deux, tu cherches à souligner. Malgré cela, je reste convaincue qu’il faut éviter d’avoir l’air de vouloir dissimuler de mauvaises nouvelles à notre peuple. Et je le suis encore plus depuis la bataille de Manticore. J’estime aussi qu’à trop temporiser nous risquons de suggérer à cette bande d’arrogants de Solariens que nous avons peur de les rendre responsables de leurs actes. En outre, nous donnerons à ces salopards d’Éducation et Information plus de temps pour choisir la manière dont ils présenteront les nouvelles quand elles seront enfin annoncées. »

Grandville avait commencé d’ouvrir la bouche mais il la referma et hocha la tête, comme malgré lui. Le département d’Éducation et Information solarien, ces temps-ci, s’occupait très peu d’éducation mais énormément d’information. La structure bureaucratique qui le dirigeait (ainsi que le reste de la Ligue) l’avait changé en un très efficace ministère de la Progagande.

« Ce sont deux bons arguments, admit-il. Je préférerais tout de même garder cela secret au moins jusqu’à ce que les Solariens aient reçu notre message et y aient répondu. En même temps, je pense que nous devons faire un peu de travail préliminaire de notre côté. Décider de quelle manière exacte nous réagirons si la nouvelle se répand avant que nous ne soyons prêts à la lâcher officiellement – nous n’avons vraiment pas besoin d’être épinglés par surprise, sans avoir fait nos devoirs, si ça se produit – et aussi de celle dont nous l’annoncerons si cela paraît être la meilleure politique. Alors, puis-je suggérer un compromis ? Nous retenons l’information pour le moment mais nous contactons discrètement certains de nos journalistes. Nous leur expliquons ce qui se passe dans le Talbot sous le sceau de la confidence, en échange de leur promesse de taire l’histoire jusqu’à ce que nous les autorisions à en parler. Et, pour faire passer la pilule, nous leur offrons un accès officiel en Fuseau. Nous envoyons leurs reporters discuter avec Khumalo, Méduse – et même Mike après son retour –, et nous leur promettons l’accès libre à toutes nos informations, autant que l’autorisera la sécurité opérationnelle. »

Élisabeth réfléchit quelques secondes, puis ce fut à son tour de hocher la tête.

« Très bien, dit-elle. Je pense que c’est sensé. Et ce n’est pas comme si nos journalistes n’avaient pas l’habitude de retenir des articles à cause des soucis de sécurité opérationnelle. Cela dit, je ne veux pas retenir celui-là plus longtemps que nécessaire, Willie. La raison pour laquelle notre presse respecte les gels que nous lui demandons est qu’elle sait que nous n’en abusons pas.

— Je comprends, dit Grandville, avant de jeter un coup d’œil à Langtry. Dans combien de temps penses-tu avoir un premier jet de notre message, Tony ?

— Dès cet après-midi. Je suppose qu’il faudra plusieurs allers-retours entre ton bureau et le mien – et Sa Majesté, bien sûr – pour que nous l’estimions prêt à être envoyé.

— J’en suis sûr, acquiesça Grandville. Mais même si je veux bien admettre qu’Honor et vous êtes sur la bonne voie, du moins autant qu’on peut l’être dans un bazar pareil, ne nous faisons pas d’illusions. C’est une situation qui peut échapper à tout contrôle en un clin d’œil. En fait, en fonction du degré exact de bêtise de cet amiral Byng, ça pourrait fort bien être le cas en Nouvelle-Toscane avant la fin de cette réunion. »

Il s’interrompit, laissant murmurer pour eux tous le silence dissimulé dans les angles de la salle de conférence, puis il se tourna vers son frère.

« Il y a quelques mois, Hamish, tu nous as communiqué ton évaluation de ce qui se passerait si nous nous retrouvions en guerre contre la Ligue solarienne. Cette évaluation a-t-elle changé ?

— À long terme, non. » La prompte réponse de Havre-Blanc – et son expression sinistre – prouvait qu’il était justement en train de se poser la même question. « Il faudra que j’étudie les appendices techniques des dépêches de Khumalo – comme voudront sans nul doute le faire Tom et Patricia –, au cas où ils nous apprendraient des choses intéressantes, mais tout ce qu’a découvert ArmNav en examinant les prises de Monica n’a fait que renforcer ma conviction que la FLS a plusieurs générations de retard sur nous en matière de matériel militaire opérationnel. Bien entendu, nous n’avons aucun moyen de savoir où en sont leurs services de recherche et développement, et Dieu seul sait ce qu’ils peuvent avoir en cours de production, mais, même à eux, produire en masse des armes faisant appel à des technologies fondamentalement nouvelles et en équiper une flotte existante va prendre du temps. Beaucoup de temps. Dieu sait aussi que ça nous en a pris assez, alors que c’était pour nous une question de vie ou de mort. Ce n’est pas le cas pour la Ligue, et ses administrations politique et militaire souffrent d’une inertie bien plus pesante que les nôtres. En fait, je serais surpris que les engorgements bureaucratiques et la simple résistance naturelle au changement, ainsi que le préjugé du « pas inventé chez nous », ne multiplient pas par deux ou trois le délai qu’imposent les contraintes purement physiques.

» En supposant que nous ayons l’avantage technologique qu’estime pour le moment ArmNav, nous arracherons le cul de toute force solarienne que nous croiserons dans un avenir immédiat, si vous voulez bien me passer l’expression. Au bout du compte, toutefois, en supposant qu’ils aient assez d’estomac pour accepter les lourdes pertes que nous pourrions leur causer, ils absorberont tout ce que nous leur ferons, développeront les mêmes armes que nous et nous écraseront. Ou bien nous conclurons une paix négociée quelconque, ils rentreront chez eux et ils nous feront un coup à la Theisman. On s’éveillera un beau matin pour découvrir que la Flotte de la Ligue solarienne possède un mur de bataille tout pareil au nôtre mais très, très nettement plus gros… et, ce matin-là, on sera cuits.

— Ils ont une autre option, Hamish, remarqua Honor. Et, d’une certaine manière, elle m’inquiète encore plus.

— Quelle option ? demanda Élisabeth.

— Ils pourraient tout simplement refuser de déclarer la guerre. » Comme la reine paraissait désorientée, Honor haussa les épaules. « Si on se bat contre les Solariens et qu’on veut avoir une chance d’obtenir une victoire militaire – ou, d’ailleurs, d’infliger les lourdes pertes qu’évoquait Hamish, pour qu’ils se contentent d’une paix négociée – il va falloir leur imposer cette guerre. Montrer tout ce qu’on sait en matière de raids en profondeur plutôt que d’avancées système par système. S’attaquer à leur infrastructure militaire. Démolir leurs forces de défense locales les plus importantes et les plus modernes. Pilonner leurs arrières, annihiler leur flotte obsolète et son personnel formé, détruire les chantiers spatiaux dont ils se serviraient pour bâtir de nouveaux vaisseaux. En d’autres termes, il faudra les attaquer avec tout ce qu’on possède, tout ce qu’on a appris en combattant Havre, et leur prouver qu’on peut leur faire tellement mal qu’ils n’ont d’autre choix que de demander la paix. »

Le visage d’Élisabeth s’était crispé sous l’effet de la compréhension. Ses yeux bruns étaient durs quand ils croisèrent ceux d’Honor.

« Mais même cela ne suffira pas, continua cette dernière. Nous pouvons démolir une force solarienne tous les jeudis pendant vingt ans sans porter un vrai coup décisif à une entité aussi vaste. La seule manière de vaincre vraiment la Ligue – de s’assurer qu’on lui a planté un pieu dans le cœur et qu’elle ne va pas seulement se replier, construire une nouvelle flotte et revenir se venger quelques années plus tard –, c’est de la détruire. »

Les yeux de la reine s’écarquillèrent. Sir Anthony Langtry se raidit sur son siège. Même Havre-Blanc paraissait choqué, et Honor haussa à nouveau les épaules.

« Ne nous voilons pas la face, dit-elle. Détruire la Ligue sera la seule chance de survie de l’Empire stellaire à long terme. Et je pense que ça pourrait constituer un objectif pratique dans des circonstances favorables.

— Sauf le respect que je vous dois, Honor, dit Langtry, nous parlons de la Ligue solarienne.

— J’en suis parfaitement consciente, Tony. » Son sourire était aussi lugubre que son intonation. « Je sais qu’on a l’habitude de la considérer comme l’unité politique la plus vaste, la plus riche, la plus puissante, la plus avancée, la plus tout ce qu’on veut de l’histoire. En conséquence, on la prend pour une espèce de rouleau compresseur indestructible. Mais rien n’est vraiment indestructible. Ouvrez n’importe quel livre d’histoire si vous ne me croyez pas. Or je discerne bon nombre de signes montrant que la Ligue se trouve très près du point de basculement – si elle ne l’a pas déjà dépassé. Elle est trop décadente, trop corrompue, trop sûre de son invincibilité et de sa suprématie. Ses prises de décision internes ne sont pas assez fiables, trop éloignées de ce que veulent ses citoyens – et, d’ailleurs, de ce qu’ils pensent obtenir. Nous ne parlons pas du gouverneur Barregos et de l’amiral Roszâk. Aucun d’entre vous n’a-t-il songé que ce qui se passe dans le secteur de Maya n’est que la première feuille morte de l’automne ? Qu’il y a d’autres secteurs – pas seulement dans les Marges mais aussi dans la Couronne et même dans la Vieille Ligue elle-même – susceptibles de faire sécession si le vernis d’inéluctabilité de la Ligue commence à craquer ? »

Tous la regardaient à présent, la plupart moins choqués, plus pensifs.

« Si nous entamons une guerre ouverte avec elle, continua Honor, notre stratégie devra présenter un élément politique bien défini. Nous devons affirmer clairement que nous n’avons pas voulu ce conflit. Convaincre tout le monde que nous ne désirons pas une paix punitive, que nous ne tentons pas d’annexer de nouveaux territoires, que nous n’avons aucun désir d’exercer des représailles sur quiconque ne veut pas se battre contre nous. Nous devons répéter sans arrêt que nous désirons un arrangement négocié… et, en même temps, il nous faut frapper la Ligue dans son ensemble si fort que les lignes de fracture qui se trouvent déjà sous la surface en arrivent à s’ouvrir. Il nous faut la diviser en secteurs, en États successeurs dont aucun n’aura sa taille immense, sa population et sa puissance industrielle concentrée. Des États de notre taille, voire plus petits. Et nous devons négocier des traités de paix bilatéraux avec chacun d’eux quand il affirmera vouloir sortir du conflit global pour qu’on arrête de lui taper sur la tête. Une fois ces traités signés, il faudra non seulement les honorer mais aller au-delà. Encourager le commerce, signer des pactes de défense mutuelle, apporter notre aide à l’éducation, bref faire tout notre possible pour leur montrer que nous sommes un voisin et allié convenable – que nous le sommes vraiment, pas que nous faisons semblant. Bref, une fois que nous aurons brisé la Ligue militairement, une fois que nous l’aurons divisée en de multiples nations stellaires indépendantes, nous devrons nous assurer que ces dernières n’aient aucune raison de refusionner afin de s’allier à nouveau contre nous. »

Comme elle s’interrompait, un silence nouveau, différent, s’abattit sur la salle de conférence. Tous ses compagnons, à l’exception d’Hamish Alexander-Harrington, la contemplaient avec stupéfaction. Élisabeth paraissait moins surprise que la plupart des autres mais il y avait un certain émerveillement dans son expression.

Aucun d’eux n’aurait mis en doute l’intelligence ni les compétences tactiques et stratégiques de la duchesse Harrington… dans une arène purement militaire. Pourtant, la plupart avaient encore tendance à la considérer comme un commandant. Le meilleur commandant manticorien, certes, mais un commandant tout de même. En l’écoutant, ils en étaient arrivés à comprendre que c’était tout à fait faux – et qu’ils avaient été bien bêtes de ne pas s’en rendre compte auparavant. À leur décharge, l’essentiel des opinions judicieuses qu’elle avait précédemment exprimées en matière de stratégie et d’analyse politique concernaient des questions locales ou les rouages internes de l’Alliance manticorienne. Il n’était venu à l’idée de personne qu’elle eût déjà pu concentrer cette formidable compétence sur la Ligue solarienne, en laquelle elle voyait le grand défi suivant de l’Empire stellaire – et, en cela, tous s’étaient montrés remarquablement aveugles.

« Tu dois avoir raison, dit enfin Élisabeth en s’autorisant un demi-sourire. J’ai fait une telle fixation sur ma peur d’affronter la Ligue, sur l’adversaire terrible qu’elle constituerait, que j’étais bien plus consciente de nos faiblesses et de nos désavantages que de ceux qu’elle pourrait présenter, elle.

— Votre Majesté n’est pas seule à s’être rendue coupable de ce raisonnement, intervint Sir Thomas Caparelli. À l’Amirauté, le conseil stratégique sait depuis longtemps qu’il sera nécessaire de lancer des opérations massives en cas d’hostilités ouvertes contre la Ligue. Toutefois, nous n’avons jamais été capables de pousser notre projet au-delà de : la mettre à genoux, détruire son infrastructure militaire puis soumettre l’Empire stellaire à une politique d’occupation sur plusieurs générations. Nous ne pourrions jamais occuper physiquement tous les systèmes de la Ligue, ni même ses centres industriels les plus importants. Ce que nous pourrions faire, en revanche, c’est surveiller les systèmes principaux. Exiger des Solariens qu’ils renoncent à une flotte moderne importante après avoir vaincu militairement leur flotte actuelle, puis poster des observateurs dans tous les systèmes où pourrait en être rebâtie une. Garder l’œil sur les chantiers spatiaux et appeler nos unités lourdes au premier signe de violation du traité, à savoir la construction de nouveaux vaisseaux de guerre.

» Le problème de cette stratégie-là, c’est qu’à un moment quelconque, presque inévitablement, quelqu’un débarquera avec une politique revancharde et assez de force pour la soutenir. On trouvera le moyen de nous faire un coup à la Thomas Theisman, on réussira à construire une flotte assez puissante pour que l’affronter nous oblige au moins à retirer nos garnisons des systèmes occupés. Moment auquel d’autres systèmes qui ne nous aimeront pas beaucoup non plus se joindront à la mêlée, et, comme le disait succinctement Hamish, nous serons cuits.

» Mais si Honor a raison – et je pense qu’il y a une bonne chance que ce soit le cas – de croire les Solariens bien plus fragiles qu’on ne l’estime en général, nous avons une autre option. Celle qu’elle vient d’exposer. Au lieu d’occuper la Ligue pendant des générations, nous admettons qu’elle est déjà moribonde, nous la divisons, et nous faisons de ses successeurs nos alliés et partenaires de commerce, pas nos ennemis.

— » Je détruis mon ennemi quand je fais de lui mon allié », cita Havre-Blanc à mi-voix.

— Quoi ? fit son frère en clignant des yeux.

— Une citation d’un politicien de la Vieille Terre que m’a fait découvrir Honor, Willie, répondit le comte en souriant. Je crois que c’est en rapport avec son opinion sur l’esclavage génétique.

— Quel politicien ? s’enquit Grandville, encore interloqué.

— Un président des anciens États-Unis d’Amérique, un dénommé Abraham Lincoln. Si je me rappelle bien, il a dit aussi : « Pour gagner un homme à ta cause, commence par le convaincre que tu es son ami sincère. » « Havre-Blanc sourit à nouveau, cette fois à sa femme, bien plus largement. « Je ne l’ai pas lu avec autant d’attention qu’Honor, mais vous devriez y jeter un coup d’œil vous aussi. Il s’est lui-même trouvé dans une situation militaire passablement difficile.

— Bon, il est possible que j’aie tort, reprit Honor un peu plus rapidement, l’expression redevenue très grave. Mais, en supposant que j’aie raison, l’attitude des Solariens que je considère comme la plus dangereuse serait qu’ils refusent de nous déclarer la guerre et conduisent toute leur intervention au sein du Quadrant de Talbot et alentour comme un « travail de police ». S’ils refusent d’étendre leurs opérations au-delà de cette zone, aussi intenses qu’elles y soient, et s’ils donnent toujours l’impression de réagir de manière défensive, nous ne pourrons pas les combattre ailleurs, comme il le faudrait pour porter la guerre chez eux avant qu’ils n’aient le temps de dupliquer nos avantages technologiques, sans passer pour l’agresseur aux yeux de toute la Ligue. En pareil cas, nos chances de la diviser et de « détruire notre ennemi en faisant de lui notre ami » passeront sans doute tout droit à la trappe et les Solariens auront le temps de construire le rouleau compresseur nécessaire pour nous écrabouiller.

— Merveilleux, soupira Élisabeth.

— J’admets que c’est inquiétant. » Malgré ces paroles, Havre-Blanc paraissait un peu plus joyeux que son épouse. « Mais j’estime très improbable que le véritable gouvernement de la Ligue, en la personne des bureaucraties, reconnaisse le danger assez tôt pour adopter une politique aussi raisonnable. Je sais que prédire le comportement de l’ennemi puis miser tout ce qu’on a sur la probabilité d’avoir raison est vraiment très bête. Je ne suggère donc pas que nous le fassions. Je pense toutefois qu’il existe une bonne probabilité, pas seulement une chance, pour que la DSF et la FLS sollicitent toute l’aide disponible dès qu’elles se rendront compte de l’engrenage où elles ont mis les doigts. Que les Solariens nous présentent comme de sauvages agresseurs ou qu’ils se fassent passer, eux, pour des libérateurs, ils vont pousser la situation bien au-delà d’une simple action de police.

— Et ils ne seraient pas non plus les seuls décideurs à être impliqués dans le processus. » Sir Anthony Langtry semblait bien plus pensif que quelques instants plus tôt. « Quelle que soit la position qu’ils adoptent, on pourra toujours contourner un peu leur flanc, les pousser un peu plus dans la direction où on veut aller sans devenir Attila le Hun en vaisseau spatial aux yeux du reste de la Ligue. Il faudra être prudents mais nous avons une grande expérience en la matière. Si nous coordonnons avec soin nos relations publiques et nos efforts militaires et diplomatiques, je pense que nous parviendrons à maîtriser l’aspect politique du champ de bataille bien plus efficacement que vous ne le croyez, Honor. Et nous aurons d’ailleurs des alliés au sein même de la Ligue – surtout si le rôle joué par Manpower dans cette affaire devient de notoriété publique. Beowulf possède énormément de prestige et toutes ses colonies suivront sa politique dès qu’il sera question d’esclavage génétique. J’estime que nous pouvons compter – non, je le sais – sur un puissant lobby solarien de notre côté en cas de confrontation organisée par Mesa.

— Et il y a autre chose, remarqua Patricia Givens. Grâce au réseau du trou de ver, nous disposons d’un grand degré de pénétration de la Ligue. Si les Solariens décident de fermer le réseau pour bloquer notre commerce, ils se handicapent autant que nous – peut-être même plus – en annihilant purement et simplement les transports commerciaux dont ils dépendent. Pour cette raison, jusqu’à ce qu’ils parviennent à rattraper leur retard technologique – dans l’avenir proche, en d’autres termes –, nous devrions garder ouverts tous les terminus capitaux avec des forces assez légères. Nous conserverons en conséquence énormément de contacts avec la Ligue, et il est même probable que nous ayons bien plus de pouvoir économique sur une partie de ses secteurs que n’en a sa bureaucratie elle-même. Donc sacrement plus que ce que pourrait espérer un responsable aussi éphémère qu’un politicien élu. Si nous nous en servons en n’oubliant pas le besoin de changer nos ennemis en amis, plutôt que de nous autoriser à devenir des prédateurs dans l’intérêt à court terme de la survie, nous pourrons probablement détacher de la Ligue une bonne quantité de ses citoyens. »

Il y eut un nouveau silence puis Élisabeth prit une profonde inspiration.

« Honor, je dois dire que tu me fais entrevoir un point de vue qui me rend bien moins pessimiste. Il y a encore une énorme différence entre « moins pessimiste » et ce que je dirais, même de loin, « optimiste », mais tu me pousses dans la bonne direction. » Elle sourit à l’intéressée. Ce sourire, toutefois, ne dura pas. « À court terme, nous devons néanmoins penser à notre survie. Et, où que nous puissions nous retrouver à la fin, je crois que nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut d’abord accomplir la prédiction d’Hamish, à savoir les battre à plate couture. Ce qui m’amène à un autre sujet, Sir Thomas. Où en sont nos nouvelles constructions ?

— Bien au-delà des prévisions. » Caparelli se secoua. Malgré la vision stratégique que venait d’exposer Honor, il avait toujours le regard las. Mais, si son regard abritait du défaitisme, la reine ne le voyait pas. « Nous avons presque deux cents vaisseaux du mur tout neufs qui sortent des chantiers ou qui en sortiront dans les six semaines à venir, continua-t-il, et tous sont équipés de Serrure-Deux, donc peuvent accueillir Apollon. Avec ce dont dispose Honor au sein de la Première Force, les constructions qui nous arrivent des Andermiens et ce que les Graysoniens ont rendu disponible, cela nous fera plus de trois cent quatre-vingts vaisseaux du mur – presque tous capables d’utiliser Apollon – à partir de la troisième semaine de février. »

Le Royaume stellaire affichait officiellement le calendrier manticorien, mais Caparelli – comme bien des gens de par la Galaxie (dont la plupart des habitants du système binaire de Manticore) – réfléchissait en termes d’années T et se fondait sur le calendrier de la Vieille Terre, quoique les trois jours planétaires du système mère fussent très différents du jour T standard. C’était plus simple que d’opérer des conversions incessantes. Les trois planètes originelles du Royaume ayant non seulement des jours mais aussi des années de durée différente, les Manticoriens étaient plus accoutumés que la plupart des gens à recourir au calendrier standard. Une habitude qui allait sans doute devenir encore plus prononcée pour les citoyens de l’Empire stellaire de Manticore, étant donné le nombre de planètes – et la pléthore de calendriers locaux – mis en jeu. Selon le temps manticorien, Caparelli parlait du neuvième mois de l’année 294 après l’Arrivée. Selon le calendrier standard de la Galaxie en général, du mois de février de l’année 1922 post Diaspora. Et s’il s’était adressé à un être vivant avant le départ de l’humanité pour les étoiles, il aurait parlé de l’an 4024 de l’ère chrétienne.

Ses interlocuteurs avaient toutefois besoin de savoir qu’il était question d’une période située à environ soixante-dix jours dans l’avenir.

« Combien de temps avant qu’ils ne soient opérationnels ? » Grandville n’avait pas été pendant si longtemps le frère d’un des plus anciens officiers de la Flotte royale sans apprendre à la dure quelques réalités.

« C’est plus discutable, admit Caparelli. Les Andermiens et les Graysoniens devraient avoir achevé de s’entraîner quand ils arriveront, aussi n’avons-nous pas à nous en soucier. La plus grande partie de nos nouveaux vaisseaux seront sortis des chantiers fin janvier : ils auront donc au moins deux semaines pour entamer leur cycle de formation avant l’arrivée de ces mêmes Andermiens et Graysoniens. Je mentirais toutefois en oubliant qu’il va nous falloir plus longtemps que prévu pour former nos équipages. Les Havriens nous ont porté un coup vraiment lourd en éliminant la Première et la Troisième Forces. Nous avions déjà assigné des officiers à presque tous les nouveaux vaisseaux, et des équipages quasi complets aux soixante ou soixante-dix les plus proches de l’achèvement. Ceux-là sont déjà sortis des chantiers et ont commencé à s’entraîner dans le système de Trévor. Malheureusement, beaucoup connaissent le problème de se faire les dents qui frappe aussi les unités les plus légères. Nous les avons construits en un temps record mais non sans générer plus de défauts que nous ne l’aimerions. Toutefois, aucun des soucis identifiés jusqu’ici n’est vraiment critique et je compte que la plupart des unités soient prêtes pour le service d’ici une trentaine de jours. Mettons la mi-janvier.

» Ensuite, ça se complique. Nous pensions prendre une bonne partie du personnel nécessaire dans les vaisseaux du mur de conception ancienne affectés à la Première Force. Il est clair que ce ne sera pas le cas. »

Sa mâchoire se crispa involontairement lorsqu’il se rappela le carnage de la bataille de Manticore. Puis ses narines se dilatèrent brièvement et il continua.

« Comme je le disais, ce ne sera pas le cas mais, malgré cela, Lucian et PersNav se sont débrouillés pour trouver la plupart des gens dont nous avons besoin. Certains manquent d’entraînement et d’expérience, bien sûr, surtout en ce qui concerne les officiers et sous-officiers. Nous pensons accélérer beaucoup de promotions de sous-officiers pour boucher les trous, et raccourcir de dix mois la promotion actuelle de l’école de Saganami, envoyer les aspirants directement à la Flotte, sans le traditionnel premier déploiement. Il faudra sûrement pousser la prochaine promotion de la même manière, et nous avons par ailleurs été contraints de retarder notre programme de BAL parce que nous avions besoin des officiers auxquels on aurait sinon donné le commandement des BAL en question. C’est aussi la raison pour laquelle nous mettons en place des cours accélérés pour les candidats officiers – qui viendront s’ajouter à ceux que nous avons toujours eus hors de l’école, à l’usage des « mustangs ». Nous en attendons aussi un retour important, bien que nous risquions d’augmenter notre pénurie de sous-officiers en leur suggérant de devenir officiers. D’ici deux ans, nous devrions avoir dépassé cet engorgement-là. D’ailleurs, une fois que nous leur aurons donné la possibilité de rattraper leur niveau d’études, je suis sûr que nous trouverons énormément de sous-officiers et d’officiers au sein du Quadrant de Talbot. Cela va toutefois prendre un peu de temps et, d’ici là, je ne doute pas que tout pacha assez malheureux pour amener son vaisseau dans un chantier pour des réparations importantes verra sa structure de commandement picorée sans merci par les vautours de Lucian.

» En déshabillant Pierre et Paul, toutefois, notre Lucian réussit à boucher presque tous les trous à bord de la plupart des nouveaux vaisseaux, à mesure qu’ils sortent des chantiers. Franchement, je n’ai aucune idée de la manière dont il s’y prend et j’ai peur de le lui demander. Je ne sais pas non plus combien de temps il pourra continuer, même si la première vague de rappel des réservistes de la flotte marchande doit nous offrir une bouffée d’oxygène dans les deux mois qui viennent. Mais cette médaille-là a aussi son revers : il faudra du temps pour les remettre à niveau, notamment leur présenter les nouveaux matériels. En outre, et au moins aussi ennuyeux, la flotte marchande a également besoin d’eux et, nous, nous avons besoin d’elle pour maintenir nos revenus. »

Comme Grandville acquiesçait, Caparelli haussa les épaules.

« Bref, étant donné l’importante automatisation des nouveaux vaisseaux, il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions pas leur fournir des équipages. Malheureusement, c’est ce que nous étions en train de faire quand Tourville est arrivé et a détruit quelque chose comme la moitié de la Flotte. Il va falloir du temps pour recruter et boucher l’énorme trou ainsi creusé, donc je ne crois pas que nous puissions équiper une autre grande vague d’expansion avant un bon moment. À court terme, ça veut dire que nous avons les individus nécessaires – tout juste – mais que les périodes d’entraînement vont devoir être allongées. La règle d’avant-guerre voulait qu’il faille trois ou quatre mois à l’équipage d’un nouveau vaisseau du mur pour atteindre un niveau satisfaisant de préparation au combat. Durant la première guerre havrienne, grâce à des officiers expérimentés, nous avons fait tomber ce chiffre à deux mois et demi. Mais, vu la situation actuelle, ça m’étonnerait qu’on y parvienne en moins de quatre, et je ne serais en revanche pas surpris que ça en prenne jusqu’à cinq, compte tenu du fait qu’il faudra aussi corriger en chemin tant de petites erreurs de construction. Dans un avenir immédiat, il vaut donc mieux compter sur ce dont dispose déjà Honor – ici, au sein de la Première Force, et en cours d’entraînement autour de l’Étoile de Trévor – plus, disons, cinquante supercuirassés porte-capsules encore en chantier. Et, bien sûr, les vaisseaux neufs ou rééquipés des Andermiens… sauf que nous ignorons si Gustav sera prêt à nous soutenir contre la Ligue.

— Est-ce que ça suffirait pour arrêter ce que pourraient nous faire subir les Solariens durant la même période, Hamish ?

— Probablement… si on pouvait concentrer ça sur eux », répondit le frère de Grandville. Il interrogea du regard Caparelli, qui hocha la tête pour marquer son approbation.

« Pour être franc, continua Havre-Blanc, et au risque d’avoir l’air un peu complaisant, notre problème principal potentiel lors des premiers combats contre les Solariens sera la fourniture de munitions. Mais durant cinq ou six mois au moins, en supposant qu’on se batte près du système mère et de notre base industrielle, ou bien que nous disposions d’un circuit logistique correct pour nous approvisionner en missiles, un tel nombre de cuirassés porte-capsules devrait nous permettre d’encaisser tout ce qu’ils pourraient nous envoyer, même sans les Andermiens. Hélas ! nous avons toujours un autre petit souci : la guerre contre Havre.

— Oui et non, dit Grandville, sombre, avant de se tourner vers Langtry. Sa Majesté et moi en avons déjà parlé brièvement il y a deux jours, Tony, mais nous ne faisions que réfléchir dans l’abstrait. À présent, il semble que nous devions appliquer nos conclusions concrètement.

— Pourquoi cela m’emplit-il d’une soudaine angoisse ? murmura Langtry.

— L’expérience, probablement », répondit son interlocuteur avec un bref sourire crispé, lequel disparut aussi vite qu’il était apparu, tandis que le Premier ministre se penchait vers le ministre des Affaires étrangères. « Étant donné l’estimation de nos forces que vient de nous présenter Sir Thomas, nous avons sans doute les moyens d’annihiler le système de Havre, déclara-t-il. De leur rendre la monnaie de leur pièce. Sauf que, nous, nous disposons d’Apollon, donc nous n’aurions même pas besoin de nous mettre à leur portée. Et nous pourrions faire subir le même sort à chacun de leurs systèmes qui dispose du plus petit chantier spatial. Renvoyer à l’âge de pierre tous les mondes développés de la République. »

Le silence régnait à nouveau autour de la table de conférence, tendu, presque fragile.

« Je ne cache pas que c’est précisément ce que j’ai envie de faire, continua Grandville, et je doute d’être le seul. Il n’y a sans doute pas une seule famille du système mère qui n’ait perdu quelqu’un durant la bataille de Manticore, sans même parler de toutes les victimes antérieures. Donc, oui, dans un sens, j’adorerais pilonner les Havriens jusqu’à les réduire en pièces.

» Mais nous sommes à présent dans cette situation avec la Ligue solarienne et, même sinon, la vengeance, aussi tentante qu’elle soit à court terme, est la pire fondation possible pour une paix durable. Nous ne sommes pas Rome, aussi ne pouvons-nous pas raser Carthage et recouvrir la terre de sel. Alors, dis-moi, monsieur le ministre des Affaires étrangères, si nous prouvons que nous pouvons annihiler la Flotte havrienne et démolir l’infrastructure orbitale du système capitale d’Héloïse Pritchart, puis lui dire que nous sommes prêts à détruire autant d’autres systèmes qu’il le faudra pour lui faire entendre raison, que penses-tu qu’elle répondra ? »

L'univers d'Honor Harrington - L'Ennemi dans l'Ombre T02
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